Mise en scène et scénographie : Gaël Lescot
Regard : Muriel Ryngaert
Lumières : Martine Staerk
Diapositives : Pascal Tirel

Avec La fille : Corinne Marsollier
Le premier boy : Franck Petit
Le deuxième boy : Gaël Lescot
& la voix d'Olivier Achard

Durée du spectacle : 1H15
Illustration :
Tina Modotti
[SOMMAIRE]

INTRODUCTION

1. " Comme une esquisse de ce que cela aurait pu être ou de ce que cela fut "

2. LE DEBUT

3. DECOR, LUMIERES ET ACCESSOIRES.

4. LA FILLE

5. LE PREMIER BOY

6. LE DEUXIEME BOY

7. LES GOGUENARDS

8. LE NUMERO DE "MUSIC-HALL"

LE PRIX DU SPECTACLE

LES PHOTOS DU SPECTACLE

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Comment dire l'évidence ?

tomber sur un texte

par hasard ou presque

et savoir tout de suite

avant l'achèvement de la lecture même

de la manière la plus instinctive

que c'est ce texte-ci

qu'il est essentiel de passer par là

ce texte

qu'il est essentiel de le mettre en scène.

Une nécessité absolue.

Il y a dans ce texte l'essentiel du théâtre, de la difficulté de faire du théâtre, d'en faire sa vocation, malgré les contrariétés multiples qui, très vite, encombrent le chemin magique, de l'amour qu'il faut avoir, envers et contre tout, et de l'amour qu'il donne.
Et aussi, sans vouloir employer les grands mots, au travers de leur véritable aventure humaine, avec ses rires aux éclats ou forcés, les grimaces et les solitudes, les rêves, possibles ou improbables, la force de l'habitude, le désarroi face au recommencement, il y a
la terrible question de l'existence.
Une histoire simple pour trois personnages : une fille et deux boys racontent un numéro de music-hall,
le leur. Ou plutôt ils nous expliquent du fond de leurs mémoires usées par des années de tournée, en tous lieux possibles et imaginables, ce que ce fut que cette vie-là, leurs histoires d'acteurs dans cette vie de voyage. Comment rien ne leur fut jamais donné, qu'ils durent arracher à pleines dents la moindre de leurs exigences, aux gens des lieux où ils jouaient, les "goguenards", comme elle les surnomme, et comment ils s'accommodaient des refus si fréquents.
Comment leur numéro minable devint de plus en plus minable. Elle dit pourtant qu'il fut magnifique, au tout début, il y a si longtemps.
Mais ils tournent encore et toujours, toujours le même numéro, même si les deux boys ne sont plus les mêmes, qu'on ne sait d'ailleurs pas ce que sont devenus ceux d'avant, et ceux d'avant encore, etc.
Mais elle, est toujours là, de toute sa présence, elle sera toujours là, même quand le public ne sera plus assis en face, pas venu cette fois, pas un quidam dans la salle, elle sera là, à elle toute seule,
l'image du théâtre.
Derrière, ou plutôt ailleurs, on entendra les deux boys, xèmes boys, fredonner les paroles d'une chanson de Joséphine Baker :

" ne me dis pas que tu m'adores
mais pense à moi de temps en temps…"

 
1. "COMME UNE ESQUISSE DE CE QUE CELA AURAIT PU ETRE OU DE CE QUE CELA FUT"


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un chemin sans retour

Tout au long de la pièce, les trois personnages-acteurs évoquent un numéro de music-hall, sans jamais l'exécuter devant nos yeux. De fait,
il est question de toutes les barrières qui rendent toujours plus difficultueuse la vie (voire la survie) même du numéro. Seuls les boys nous donneront à voir certains moments, au travers de répétitions, entre tristesse et amusement, comme une chose dérisoire et pourtant primordiale.
La fille, elle, raconte. Dans un souci de méticulosité , ou parce que sa mémoire s'efface, au fur et à mesure des villes et des lieux qu'elle a traversés, traverse et traversera encore, elle finit toujours par revenir au début : début du numéro, débuts historiques, ses propres débuts. Et puis s'arrête (fin de scène), et reprend (nouvelle scène), et ainsi de suite, jusqu'à disparition des boys, et enfin du public. La mise en scène s'attache particulièrement à cet éternel recommencement, essayant de créer chez le spectateur l'hallucination qu'il peut avoir en fixant un manège de foire, pendant des tours et des tours.
Créer un sentiment ébahi d'hypnose qui, du tourbillon des rires, nous emportera tout droit au gouffre du tragique.

 
L'écriture
comme la chair(e) de l'acteur.

La première chose qui impressionne dans l'écriture de Jean-Luc Lagarce, c'est combien elle semble faite pour la bouche de l'acteur, la liberté qu'elle offre à son interprète, et sa générosité, qu'elle octroie avec un semblant de naturel déconcertant.
Avant tout, il s'agit de raconter, vite, avant l'abandon (car l'urgence est là) de chacun à soi-même. Comme s'il s'agissait d'une bousculade des mots, tout juste précipités du cerveau, mais dans une forme très stylisée.
Ne pas rester figé face à la beauté du texte,
Le prendre à son compte,
Incarner, dans le respect de l'écriture, au plus proche des mots,
Que les acteurs prennent en charge le texte de la manière la plus intime, et nous montrent, entre les lignes, le destin de l'histoire, "on ne saurait faire semblant, il y en a bien une, et quelle est-elle ?" et des personnages.
Aussi, cette chose que de continuellement tenter le mot exact, pour finalement échouer (la tâche est trop rude) et s'en sortir par une formule toute faite, "manière de dire", ou répétitive, ou encore par une interrogation vite balayée : "comme cela qu'on dit ?"
Reprendre le cours du récit.
Ne jamais oublier combien le texte est drôle, faire résonner cela, toujours, à toutes occasions possibles.



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2. LE DEBUT

" la fille,
elle venait comme ça,
du fond,
là-bas,
elle entrait,
elle marchait lentement,
du fond de la scène vers le public,
et elle s'asseyait. "

 

Dans
la première scène de la pièce, seule la fille parle. Elle décrit, en faisant l'effort entêté d'être la plus précise possible, son entrée sur la scène.
Une belle entrée, pensée comme telle, qui impressionnera d'emblée le public,
le laissant cloué à son fauteuil.
Une entrée…

"comme si de rien n'était"
Une entrée "lente et désinvolte".

Oui, mais voilà !

Parfois, il n'y a pas l'espace nécessaire à cette entrée,
ou alors pas de porte au fond de la scène.
Alors, elle ne se décompose pas, elle entre autrement, l'air de rien.
Et s'il n'y a même pas la possibilité d'une quelconque entrée, elle sera là,
assise dès le début.

Et ce n'est qu'un début !

Il faudra affronter tous les autres problèmes : le tabouret qu'est jamais pareil, et parfois même c'est une chaise ! la bande son qui se transforme
en magnétophone, les pompiers intransigeants, les boys qui s'en vont
les uns après les autres et qu'il faut remplacer, les vieux souvenirs,
du temps de la splendeur imaginée…

Sans parler du public !



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3. DECOR, LUMIERES ET ACCESSOIRES.
Un processus scénique simple

Parce qu'il est primordial d'évoquer le voyage, et pour privilégier
le jeu des acteurs, et l'histoire qu'ils racontent, il n'y a pas de décor.
Juste, pour l'atmosphère, de petites guirlandes fragiles, accrochées
sur un cadre noir et carré, au-dessus de leurs têtes.

Et deux rideaux de perles rouges translucides, un pour chaque boy.
La fille, elle, a son tabouret noir, "si j'y tiens à ce tabouret, on ne saurait
me l'interdire…", plein centre, pour bien marquer son territoire.

Le reste se racontera au moyen d'accessoires, également noirs, rouges,
en bois, déposés sur des plateaux à roulettes, faciles à faire apparaître
et disparaître. Les objets sur scène, prétextes à jeux multiples, seront la matérialisation simple de ceux évoqués dans la pièce : un trépied à vache, le magnétophone, le vélo, etc. Un balai itou, pour que le plateau soit, au moment importun, accompagnant le mouvement des drames à venir, débarrassé de tout ce qui l'encombre, afin de retrouver l'aspect illusoire d'une virginité
à jamais perdue.

Le travail sur la lumière aura une importance capitale, permettant de définir l'espace théâtral, de la scène toute entière au visage
de la fille ; une lumière à l'affût, prête à l'excès si nécessaire, comme eux trois, la fille et ses deux boys, pour épater ceux-là, en face, qui "attendent maintenant dans le silence et ce trou noir, là…"

Ses couleurs ? Du rose du numéro à l'ambre des beaux jours,
et la blancheur des services, rallumés soudain.



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4. LA FILLE

La fille
est supposée avoir un certain âge, puisqu'en tournée depuis plusieurs décennies. Nous prendrons là la liberté de ne pas suivre le texte à la lettre, et de choisir plutôt une actrice de trente ans. L'idée est de faire du personnage une figure emblématique de l'actrice (Plus jeune, nous risquerions de glisser vers une autre figure : la jeune première, hors de propos), vouée à son travail de Sisyphe.
Avant même le début du spectacle, elle est là, elle rôde, costume de velours noir, début du siècle, fantôme (fantasme ?) du lieu, une ombrelle la protégeant de la lumière du dehors. Là, depuis si longtemps…
Une fois le pied posé sur la scène, le rideau se ferme, elle remet son habit de jeu. Son costume devra éviter l'écueil du mauvais goût, forcé et trop facile, autant que le "cheap" ; il doit être la trace du rêve possible. Une robe rouge sans façon, avec bretelles de strass, tel un indice-cliché du music-hall, imparable.
A la première scène, tout se joue, elle entre du fond, à étourdir de sa maestria le public, "c'est elle toujours qui décida du début", mais déjà elle se rapproche d'eux, c'est d'une confession qu'il s'agit. Du numéro de music-hall, ils ne verront que le commencement, une pose, quelques pas, une chanson obsédante, un sourire, et c'est tout. Ce qu'elle va dire, et que les boys illustreront avec joie et obéissance convenue, c'est Elle, son essence même. Et quand l'épuisement arrivera, quand anecdotes et souvenirs n'y suffiront plus, que les boys auront abandonné la partie, elle se taira, présence muette et physique, son corps, plus que ça, dira encore, justification ultime, la raison de sa présence ici

"l'œil fixé sur ce trou noir où je sais qu'il n'y a personne."



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5. LE PREMIER BOY

"le premier venu,
toujours un type là, la bouche ouverte,
prêt à croire que,
trop content, l'imbécile, d'enfiler le costume."

Celui qui croit à son rêve, à la possibilité du rêve les yeux grands ouverts. Habillé sobrement d'un pantalon et d'un maillot sans manches noirs, un chapeau melon sur la tête, tel un boy sorti d'une comédie musicale de Bob Fosse,
illusion déjà d'un Broadway imaginaire. Il est celui qui porte la gaieté, digérant chaque péripétie malheureuse comme une blague insouciante, béat d'admiration devant la fille, prêt à tout, pour sûr, pour que continue l'aventure, le Théâtre. Il est dedans, sur les planches, il danse avec sérieux, décrit leur vie consciencieusement et semble s'émerveiller sans cesse. Tout est jeu, donc il s'amuse, et eux, la fille et l'autre qui bougonne, sans doute aussi. C'est ce qu'il croit. Des goguenards, il se réjouirait presque.
Pourtant, le deuxième boy le prend bientôt au dépourvu, comme une grimace qui resterait figée, il va trop loin dans son "Montargis, Loiret" gueulé à tue-tête.
Puis, c'est la fille qui s'arrête soudain (et la musique avec)
et qui va pleurer derrière son rideau de perles.
Le théâtre ?
Il parle encore, mais c'est fini, le rêve se brise, à jamais, après une colère
de désespoir, plus rien ne subsiste, il a vu l'envers du décor, il ne peut plus rester, il part, plus que le souvenir terrible et magnifique qu'ont ceux qui, un jour, ont cru que…



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6. LE DEUXIEME BOY

" toujours été là "
, avec cette fille ou avec une autre,
il fait, " comme cela qu'on dit ", partie du tableau.
Vêtu à l'identique de son partenaire, une moustache d'hidalgo en sus, son regard sur les choses est radicalement opposé.
Tout est apparent prétexte à bouderie, amertume et chicanes. Sur lui, on peut compter, il exécutera la chanson quand les moyens techniques feront défaut
(peut-être son seul refuge d'émotivité), il accompagnera le premier boy dans ses imitations de goguenards et autres gamineries, lui inventera des histoires de crime passionnel auquel il finira par croire, il sera l'amant consolateur de la fille, mais toujours en regard triste, à la recherche sans doute de sa propre vie, désabusé avant même que d'exister.
Bien que sachant la vérité qui les guette, la solitude, il fera semblant avec eux, osera une tentative de prise de pouvoir "égomaniaque", vite avortée, il n'est pas méchant, est surpris de la révolte impromptue du premier boy, ne sait pas consoler la fille, mime le mari, splendide chimère, s'efface et ferme les yeux.

" Vous partez et vous m'oubliez et lorsque je me réveille
-m'étais endormi et ne prenais pas garde- je ne sais plus où vous êtes
et je reste là.
Je pleure une heure ou deux sur ma pauvre vie perdue, toute ma jeunesse.
Je suis tout seul.
Réponds-moi, cela te conviendra ? "

Un dernier espoir, peut-être : " Ah, les îles!…"



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7. LES GOGUENARDS

Ceux qu'ils affrontent régulièrement.
Annonciateurs de malheurs.
Pour dédramatiser les choses, et supporter le poids de leur calvaire face aux goguenards perpétuels, les boys, d'un couvre-chef ou autres accessoires de pacotille, au registre de l'enfance et du carnaval, les boys les incarneront sous forme de saynètes mimées et drolatiques.
Ils "confondent une chaise avec un tabouret".
"Confondent le confort avec l'art, bon !".
Proposent un trépied à vache.
Puis refusent son tabouret, jouent les pompiers vigilants, "pourrait prendre feu et propager les flammes et dévorer l'ensemble".
En oublient la robe, "jamais demandé".
Finissent leur bière et leur repas, "avec force déglutitions sonores".
Les goguenards de "Montargis, Loiret. Le trou du cul du cul de la fin du monde", passons…
Veulent connaître l'histoire, "de quoi se mêlent, crapules autochtones !".
Apparaît leur chef, "le goguenard-chef, le plus goguenard des goguenards". Qui assène les derniers coups : "pas espérer grand chose coté recette", "si nous, nous ne venons pas, et devaient être la grande part des effectifs, si nous ne venons pas, il faut le savoir, qui viendra ? Hein ? Hein ?".
Alors, devant ceux qui restent, elle accepte "quolibets", "obscénités et rien d'autre", "fourchettes et cuillères et bouteilles de bière", "et chaussures aussi, on l'a vu"…

La réponse à leur présence ?
" triche jusqu'au limite de tricherie "


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8. LE NUMERO DE " MUSIC-HALL "

Il reste à imaginer.
Le texte ne nous en révèle que des bribes. La question est de savoir
si on le représente, et si oui, de quelle façon ?
On imaginera que le numéro, composé de trente mouvements,
autant que de scènes, ne sera dévoilé qu'à la fin et imparfaitement.
Pour accentuer l'idée des souvenirs surannés,
il sera fait usage de projection de diapositives couleur sépia.

LE NUMERO DE
" MUSIC-HALL "
Les boys sont partis, ils sont maintenant spectateurs,
assis sur leurs chaises, dans le noir des extrémités de l'avant scène.
La fille continue la parole, l'absence du public, ce qu'ils lui jettent dessus,
elle n'en peut plus, s'interrompt.
Pourtant, une voix-off annonce : "mais toujours elle termine.
Venue pour ça, et rien ne l'en empêchera."
Alors, elle reprend, elle se dirige vers l'appareil à diapositives, 30,
qui reprennent des images du spectacle qu'on vient de voir,
tel un effet de nostalgie immédiate.
Une dernière fois, elle chante la chanson de Joséphine Baker.
Elle se tait, se penche pour déclencher le magnétophone à cassette.
C'est sa voix encore qui dit, à travers l'appareil, la fin du texte,
tandis qu'elle se dévêt : la chaussure qui étincelle, la robe,
la barrette de faux diamants, la perruque,
telle une Dalila devenue Samson, le faux cil.
Son corps seul.
Elle prend la pause du début, le bras gauche en l'air,
et tente un dernier sourire.
Un temps. Effroi.
Mais ceci est un spectacle : les boys se lèvent et tandis que se referme
le rideau de scène, ils la rejoignent.
On entend Joséphine Baker, les toutes dernières paroles :

"Ne laisse pas mourir nos rêves
de temps en temps, rappelle-toi "

  LE PRIX DU SPECTACLE EST DE 20 000 FRANCS H.T.
  [SOMMAIRE]
Le texte de Music-Hall est protégé par
le copyright des éditions Les Solitaires Intempestifs